Une gare pas comme les autres
À l’angle d’Asnières-sur-Seine et de Bois-Colombes, nichée au fond de l’impasse des Carbonnets, se dresse un bâtiment mystérieux à la silhouette élégante et industrielle : la Gare Lisch.
Souvent surnommée « gare des Carbonnets », cette ancienne gare du XIXᵉ siècle est un véritable trésor d’architecture, à la croisée de l’histoire ferroviaire, du patrimoine et du renouveau urbain.
Derrière sa façade de briques vernissées et sa charpente métallique, se cache une histoire unique — celle d’une gare née à Paris, déménagée à Asnières, tombée dans l’oubli, et promise aujourd’hui à une nouvelle vie.
Aux origines : la gare de l’Exposition universelle de 1878
Un symbole du progrès à la parisienne
La Gare Lisch n’est pas une gare ordinaire. Elle fut initialement construite pour l’Exposition universelle de 1878, au Champ-de-Mars à Paris, à deux pas de la future Tour Eiffel.
Son architecte, Juste Lisch (1828-1910), figure emblématique de l’architecture ferroviaire, voulait incarner la modernité de la France industrielle.
Résultat : une ossature en métal, un remplissage en briques colorées et de larges verrières inondant les quais de lumière — un chef-d’œuvre technique et esthétique.
Cette architecture légère, innovante et lumineuse tranchait avec les gares massives et en pierre de son époque. La Gare du Champ-de-Mars était alors l’un des symboles de la modernité du Paris du XIXᵉ siècle.

D’un Champ-de-Mars à une impasse d’Asnières
Le déménagement le plus insolite de l’histoire ferroviaire
À la fin du XIXᵉ siècle, le destin de cette gare prend un tournant inattendu. En 1897, la Compagnie de l’Ouest décide de démonter intégralement le bâtiment, pièce par pièce, pour le remonter à Asnières-sur-Seine.
Objectif : remplacer des ateliers détruits par un cyclone, tout en réutilisant ce bijou d’ingénierie.
Le bâtiment est alors réinstallé à l’impasse des Carbonnets, où il prend le nom de Gare Lisch, en hommage à son architecte. À cette époque, Asnières est en plein essor industriel et ferroviaire. Le quartier bruisse du passage des trains et de la modernisation des lignes.
L’âge d’or ferroviaire et la mutation urbaine
Une gare pionnière de l’électrification
À partir des années 1920, la Gare Lisch joue un rôle pionnier dans la modernisation du réseau.
En 1924, elle devient la première gare expérimentale du tronçon Paris–Saint-Lazare / Bois-Colombes, électrifiée avec un troisième rail.
C’est une période de bouillonnement technique : la gare participe aux essais, à la maintenance et à la gestion des nouveaux équipements.
Mais le progrès, ironie du sort, finira par la dépasser.
En 1937, la nouvelle gare de Bois-Colombes ouvre ses portes. La Gare Lisch cesse définitivement son activité voyageurs et est reléguée à un usage secondaire : entrepôt, atelier, puis simple dépôt ferroviaire.
Le temps de l’abandon
Pendant plusieurs décennies, la Gare Lisch sombre dans l’oubli.
Ses verrières se couvrent de poussière, la végétation reprend ses droits, et la structure métallique, jadis fière et brillante, se corrode lentement.
Dans les années 1980, la SNCF envisage même sa démolition.
Mais un mouvement citoyen et associatif se mobilise. Grâce à cette énergie locale, la Gare Lisch est inscrite à l’Inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 1985.
Un sauvetage in extremis, qui fige dans le temps un fragment de l’histoire industrielle française.

Un trésor d’architecture industrielle
Métal, verre et brique : la signature de Juste Lisch
Le style de la Gare Lisch est typique du génie de Juste Lisch, architecte visionnaire de la révolution ferroviaire.
Ses gares marient l’élégance du fer et la chaleur de la brique, symboles de la modernité du XIXᵉ siècle.
- Structure métallique : une charpente aérienne, héritée des techniques des Expositions universelles.
- Briques vernissées : colorées, décoratives, elles donnent du rythme et de la texture aux façades.
- Verrières : elles apportent une lumière naturelle, magnifiant la transparence et la légèreté du bâtiment.
Cette esthétique industrielle, inspirée du mouvement architectural de l’« ingénierie visible », fait de la Gare Lisch un chef-d’œuvre à la fois fonctionnel et poétique.
Une renaissance annoncée
Le rachat par la ville d’Asnières-sur-Seine
Après des décennies d’abandon, l’avenir de la Gare Lisch se dessine enfin.
En 2024, la ville d’Asnières-sur-Seine rachète le bâtiment à SNCF Réseau pour environ 425 000 €.
Objectif : redonner vie à ce monument emblématique du paysage local.
Un grand projet de rénovation et de réhabilitation est lancé, estimé à près de 8 millions d’euros.
L’agence d’architectes Bechu & Associés, connue pour ses réalisations contemporaines intégrant le patrimoine ancien, pilote les études de restauration.
Un futur lieu de vie et d’innovation
Si les plans définitifs ne sont pas encore publics, plusieurs pistes émergent :
- un espace culturel ou artistique,
- un lieu d’innovation et de coworking,
- ou encore un tiers-lieu hybride mêlant patrimoine, création et urbanité.
La gare deviendrait ainsi un pont entre passé et avenir, à la fois témoin du XIXᵉ siècle et symbole de la métropole de demain.
Un site stratégique pour le Grand Paris
Située à proximité du futur tracé de la Ligne 15 du Grand Paris Express, la Gare Lisch s’inscrit dans un territoire en pleine mutation urbaine.
Le quartier des Carbonnets, longtemps enclavé, deviendra un pôle d’échanges et d’activités relié au réseau métropolitain.
Cette connexion renforce la valeur du bâtiment et son potentiel d’attractivité économique et touristique.
La renaissance de la Gare Lisch illustre parfaitement la dynamique actuelle du Grand Paris : réhabiliter des friches industrielles pour créer des lieux de vie, de travail et de culture.
Un joyau patrimonial et émotionnel
La Gare Lisch n’est pas seulement une structure métallique à restaurer.
Elle est un symbole d’histoire et de mémoire collective.
Chaque brique, chaque poutre raconte une époque où la France innovait, construisait, et exportait son savoir-faire au monde entier.
La redécouverte de ce lieu suscite un fort attachement local.
Photographes, urbanistes, curieux et riverains y voient un repère identitaire, une promesse de renaissance et un rappel du génie de Juste Lisch.
La Gare Lisch en chiffres
- Année de construction : 1878
- Architecte : Juste Lisch
- Transfert à Asnières-sur-Seine : 1897
- Fin d’activité ferroviaire : 1937
- Inscription aux Monuments historiques : 13 août 1985
- Rachat par la Ville : 2024
- Budget estimé pour la restauration : environ 8 millions d’euros
Redonner vie à la Gare Lisch, c’est réconcilier le passé et le futur.
Ce joyau de l’architecture industrielle, oublié pendant près d’un siècle, s’apprête à devenir l’un des symboles du renouveau urbain d’Asnières-sur-Seine.
Entre patrimoine, innovation et attractivité territoriale, la Gare Lisch est prête à écrire un nouveau chapitre de son histoire — un pont entre la mémoire du XIXᵉ siècle et la créativité du XXIᵉ.
